« L’épargne constitue une manne considérable pour financer des projets positifs pour l’environnement et accélérer la transition »

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« L’épargne constitue une manne considérable pour financer des projets positifs pour l’environnement et accélérer la transition »

Les médias L’Agefi et ID, l’Info Durable ont lancé à la rentrée 2024 le Think Tank « 2030, Investir Demain », avec l’ambition de nourrir les débats et de fédérer les acteurs financiers autour des grands enjeux de la finance durable. Cette initiative rassemble six groupes de travail thématiques qui se réuniront tous les deux mois pour échanger, formuler des idées et proposer des solutions concrètes. Focus aujourd’hui sur le premier atelier du groupe Ma trajectoire Climat boostée par mon épargne, co-fondé par LBP AM, avec une interview de Maxine Sabater, Responsable du déploiement d’Impact CO2 pour l’ADEME.

Le 28 octobre 2024, s’est tenu le premier atelier du groupe de travail « Ma trajectoire Climat boostée par mon épargne », co-fondé par LBP AM et dont l’objectif est d’élaborer « des solutions concrètes pour aider les épargnants à aligner leurs choix financiers avec leurs engagements climatiques ». Ce groupe vise en particulier à formuler des préconisations concernant les outils actuellement disponibles pour mesurer l’empreinte carbone de l’argent, afin de permettre aux conseillers financiers d’aider leurs clients à améliorer leur trajectoire climat personnelle grâce à leur épargne.

Dans le cadre de cet atelier inaugural, les participants ont discuté de l’identification des outils de mesure de l’empreinte carbone existants, tant pour la dimension personnelle (vie quotidienne) que pour la gestion financière (emprunts et placements). Les échanges ont été enrichis par les contributions de Florian de Bon, Vice-Président Innovation & Public Affairs chez Helios.do, une banque spécialisée dans le financement de projets alignés avec la transition écologique et qui propose également un simulateur pour calculer l’empreinte carbone de l’argent placé en banque,

et Maxine Sabater, Responsable pour l’ADEME du déploiement d’Impact CO2, une boîte à outils gratuite destinée à sensibiliser les professionnels sur l’impact carbone.

Dans cet échange, Maxine Sabater revient en particulier sur les outils développés par l’ADEME et sur les enjeux et défis méthodologiques liés à l’intégration d’une dimension « argent » dans le calcul de l’empreinte carbone personnelle.

Pourquoi participer au groupe de travail « Ma trajectoire Climat boostée par mon épargne » ?

L’ambition de ce groupe de travail est très importante. L’environnement est une préoccupation croissante pour nombre de citoyennes et citoyens. Pour limiter les émissions de GES, les éco-gestes sont une réponse nécessaire, mais pas suffisante. Le monde économique et financier joue à ce titre un rôle crucial dans la transition écologique : d’une part en finançant les activités bas carbone et les entreprises en transition, d’autres part en cessant de financer celles qui ne le sont pas et qui poursuivent des activités climaticides.

Selon l’Institut d’Économie pour le Climat, il faudrait augmenter de 30 milliards d’euros par an le niveau d’investissement pour le climat en France d’ici à 2030 pour garder le cap de la neutralité carbone. Aujourd’hui, l’épargne privée des Français est estimée à 6 000 milliards d’euros : ce levier constitue donc une manne considérable pour engager des investissements qui permettront une réduction effective des émissions à l’échelle planétaire. C’est tout l’enjeu de ce groupe de travail : mettre en lumière les données existantes sur le sujet, identifier les lacunes et s’entourer d’experts de la finance durable pour y pallier, et à terme outiller les conseillers financiers pour optimiser l’épargne de leurs clients conformément aux engagements climatiques.

Pourriez-vous présenter la plateforme « Impact CO2 » et les principaux outils qu’elle propose ?

Impact CO2 est une boîte à outils gratuite conçue pour aider les professionnels à calculer et sensibiliser leur communauté à l’impact carbone. Sur la base des données environnementales de l’ADEME, ces outils permettent de mesurer facilement un impact et d’identifier les gestes ou objets du quotidien qui « pèsent » le plus, afin de faire des choix plus éclairés.

Nous proposons divers simulateurs classés par thématiques telles que le transport, l’alimentation, le numérique ou encore le chauffage ou la livraison de colis. L’utilisateur peut visualiser l’impact de différents scénarios, décrypter les émissions liées à la fabrication ou à l’usage, et ainsi mieux comprendre les bons ordres de grandeur, notre cheval de bataille !

Le calculateur Impact Transport est par exemple très apprécié par les lieux culturels pour sensibiliser les participants à l’impact carbone de leur déplacement pour se rendre dans un musée, une salle de spectacle ou encore un stade de foot. On le retrouve aujourd’hui sur des centaines de pages d’informations pratiques à travers le web, ou sur certains sites d’annonces immobilières.

Pour donner vie aux données carbone, notre Comparateur carbone joue le rôle de « calculette CO2e » : on convertit une quantité de kg de CO2e en nombre de repas avec du boeuf versus repas végétariens, en nombre de km en voiture thermique versus voiture électrique. Il est utilisé par des entreprises pour illustrer un rapport d’impact et communiquer des données parlantes à leurs salariés ou clients.

Plus récemment, nous nous sommes appuyés sur près de 200 équivalences carbone du site Impact CO2 pour développer un nouvel outil : le Quiz carbone, une série de 10 questions pour tester ses connaissances et apprendre tout en jouant !

Quelles sont les principales différences entre « Impact CO2 » et la plateforme « Nos Gestes Climat », également proposée par l’ADEME ?

Ces deux outils sont souvent confondus, car ils étaient à l’origine réunis sur une même plateforme : Datagir, la première startup d’État de l’ADEME ! Aujourd’hui, ces deux services sont distincts bien que très complémentaires.

Nos Gestes Climat est un outil grand public permettant de mesurer son empreinte carbone individuelle. En moins de dix minutes, l’utilisateur répond à une série de questions sur ses habitudes de consommation et obtient une estimation de son empreinte annuelle. L’interface est intelligente : selon les réponses fournies, elle propose des actions concrètes pour réduire son impact, poste par poste, afin d’atteindre les 2 tonnes annuelles à l’horizon 2050. Depuis peu, le test propose même de calculer son empreinte eau, soit l’ensemble de l’eau consommée pour produire et distribuer les biens et services que nous utilisons au quotidien.

Impact CO2 est un catalogue de ressources (simulateurs, infographies, API…) à destination des entreprises, médias, associations ou collectivités qui souhaitent sensibiliser leur communauté à ces sujets. Nos utilisateurs sont les professionnels, qui dispensent ensuite une information pédagogique à leur clientèle ou lectorat, sur la base de nos outils. Les deux sites se répondent donc très bien !

Pourquoi avoir développé ces outils ?

Au départ, l’enjeu principal était de rendre les données environnementales de l’ADEME autour du carbone accessibles et compréhensibles. Face à la multiplicité des sources d’information, il peut être difficile d’obtenir une donnée ouverte, à jour, gratuite et fiabilisée par un organisme scientifique reconnu. De plus, la métrique « CO2 » n’est pas toujours facile d’accès, d’où la nécessité de la vulgariser.

Il y a donc un double enjeu : d’une part, un enjeu scientifique pour garantir la qualité des données, et d’autres part, un enjeu de pédagogie pour faciliter le passage à l’action. Pour les citoyens, il est aujourd’hui important de mieux matérialiser ce que représente un kilo de CO2 pour prendre conscience des ordres de grandeur. Pour les professionnels, avoir des ressources ludiques et crédibles pour s’emparer des sujets de la transition écologique est un élément clé de la mobilisation collective !

Est-il possible de calculer l’empreinte carbone de son épargne ?

Aujourd’hui, quand on pense à l’empreinte carbone, on fait référence à l’empreinte « directe » issue de notre consommation (transport, logement, alimentation, etc.). C’est la méthodologie guidant le test de Nos Gestes Climat, le simulateur de référence développé par l’ADEME. Mais il existe une autre approche pour calculer l’empreinte carbone : celle basée sur notre compte en banque, et plus particulièrement sur notre épargne, dont une partie est utilisée pour financer des projets fossiles polluants en France comme à l’international.

En raisonnant en termes d’ « intensité carbone », c’est-à-dire en termes d’émissions générées par chaque euro injecté par une banque dans l’économie, Oxfam France a développé un calculateur pour estimer l’empreinte carbone de nos comptes bancaires dans six groupes français. C’est un outil très éclairant pour sensibiliser et rappeler combien notre argent représente un poste important d’émissions de CO2, bien qu’il ne faille pas y attacher la même valeur qu’aux émissions associées à des aspects de l’économie réelle.

Impact CO2 prend-elle aujourd’hui en compte cette dimension dans ses calculs ?

À date, cette dimension n’a pas encore été intégrée sur Impact CO2, car nous nous basons exclusivement sur les données et études de l’ADEME pour enrichir le site, et que ce sujet pose des limites conceptuelles. En effet, il ne nous paraît pas pertinent de comparer les émissions de la finance aux autres, ou alors dans une perspective de sensibilisation avec énormément de précautions. Ainsi si nous incorporons la finance dans nos outils CO2, il faudra considérer des indicateurs différents de la comptabilité carbone, notamment les approches fondées sur les « parts vertes » de portefeuille et la manière dont l’épargne est gérée par la banque ou le gestionnaire de compte (cadre d’évaluation des entreprises en transition ou non, politique d’exclusion des acteurs non vertueux, etc.).

Nous suivons donc de près les nouvelles publications de l’ADEME qui pourraient nous fournir des données françaises exploitables sur cette thématique. Il existe déjà plusieurs articles, vidéos et guides destinés au grand public (« Epargnons l’avenir : la finance durable en 7 questions. ») sur le site Agir pour la transition, qui est une mine d’or pour de nombreux acteurs !

Justement, quels sont les principaux défis liés à l’intégration de cette dimension dans le calcul plus général de l’empreinte carbone d’un individu ?

Je dirais que le principal défi est méthodologique : si l’on additionne notre empreinte carbone directe (approche Nos Gestes Climat) à celle issue de l’épargne disponible sur notre compte en banque (approche Oxfam), cela crée un « double compte ». En effet, notre épargne finance logiquement ces activités réelles de consommation : comptabiliser les deux flux créerait donc une redondance, démultipliée si l’on entre dans une logique de filiales.

Si la dimension relative au compte bancaire n’est pas intégrée dans le modèle de calcul de Nos Gestes Climat, pour les raisons susmentionnées, on retrouve néanmoins une carte action « Bien placer son argent » à l’issue du test. Pour « décarboner » son argent, il est ainsi proposé de choisir une banque éthique pour son compte-courant et/ou son livret d’épargne, de devenir sociétaire pour une coopérative engagée, ou encore d’investir dans des projets de transition écologique (énergies renouvelables, préservation des terres agricoles, entreprises à impact positif, etc.), la dernière option pouvant toutefois comporter des risques.

Enfin, certaines éco-banques s’attachent à attribuer un « score carbone » à chaque ligne de dépense relevée sur un compte-courant. Cette démarche est intéressante pour proposer des ordres de grandeur derrière chaque euro dépensé, même s’il est aujourd’hui difficile d’avoir une vue exhaustive sur ce qui se cache derrière un ticket de caisse dans un supermarché ou une agence de voyage par exemple. Et si l’on s’intéresse moins au produit acheté qu’à l’entreprise émettrice de ce produit, alors sur quoi se baser : les émissions des activités de l’entreprise à l’échelle nationale, mondiale ? L’empreinte carbone de ses dirigeants, actionnaires, salariés ?

Les données des entreprises se révèlent souvent parcellaires et sujettes à caution, au même titre qu’elles dépendent des fluctuations du marché. En outre, la comptabilité carbone est par construction « backward looking », puisque l’institution financière doit attendre que l’entreprise publie ses chiffres pour calculer son empreinte carbone. Tout autant de barrières pour mêler efficacement les données financières aux données d’empreinte carbone individuelle !

Que retenez-vous d’autre de ce premier atelier ?

De cette première rencontre je retiens qu’il est utile et nécessaire de rassembler autour d’une même table différents acteurs (bancaires, institutionnels, médiatiques). Qu’ils soient « traditionnels », comme La Banque Postale, l’ADEME et L’Agefi, ou plus jeunes, comme ID, L’Info Durable et Helios. Cela a permis à chacun de partager ses idées et les travaux en cours dans son secteur. Il y a une multitude d’énigmes à résoudre, notamment d’un point de vue méthodologique, afin de construire un outil capable d’attribuer un impact précis aux produits financiers.

En effet, depuis 2022, une nouvelle réglementation oblige les conseillers bancaires à tenir compte des préférences des épargnants en matière de durabilité pour leur proposer des produits adaptés. C’est une étape importante pour rediriger les flux vers des solutions de placement et d’investissement moins carbonée, à l’heure où moins de 10% des activités européennes sont considérées comme « vertes » aujourd’hui. Il est donc essentiel d’oeuvrer collectivement à une économie plus écologique, capable de lutter efficacement contre le réchauffement climatique, et notre groupe de travail est une façon parmi d’autres d’apporter notre pierre à l’édifice !

Aujourd’hui, plusieurs balises existent déjà pour renseigner les épargnants sur le caractère « durable » ou non des produits dans lesquels ils investissent. Pourquoi ne sont-elles pas toujours suffisantes ?

Les labels jouent un rôle essentiel pour identifier les fonds qui répondent à des critères environnementaux et/ou sociaux. Sur le marché français, on en compte cinq principaux : ISR, Greenfin, Finansol, CIES et Financement participatif pour la croissance verte. Ces labels ont été audités de façon indépendante et évoluent en continu pour améliorer la prise en compte de ces critères.

Néanmoins, à ce jour, il n’existe aucune définition réglementaire de ce qu’est un investissement « durable ». On peut donc retrouver derrière cette caractéristique des produits financiers de qualité très inégale, y compris pour les fonds classés article 8 et 9 du référentiel européen Sustainable Finance Discosure Régulation (SFDR).

Il n’est donc pas toujours facile de s’y retrouver, selon le périmètre national ou européen des labels, du champ des activités couvertes ou exclues, voire du jargon utilisé (voir l’alerte lancée en 2022 par Reclaim France autour de l’émission, par diverses banques internationales, d’une « obligation verte » pour financer l’extension de l’aéroport de Hong-Kong).

À l’échelle européenne, l’ADEME coordonne le projet « Finance ClimAct », qui a pour objectif d’améliorer les outils et la méthodologie à disposition des épargnants, des institutions financières et des entreprises pour intégrer les objectifs environnementaux dans leurs décisions de placement ou d’investissement, avec des informations claires et comparables.

Contenu rédigé par Max Morgene